24 février 2012

Habemus Cesar !


Hier soir, j’ai fait un rêve. Quelques heures plus tôt, j’ai vu un film*. Respectons la chronologie des événements. Tout d’abord, le film, ou plutôt une image. Un pape nouvellement élu par ses pairs, choisi par la grâce de Dieu, assis sur une chaise, attendant l’appel. Sur le balcon central de la basilique Saint-Pierre de Rome, un cardinal, ému aux larmes, s’apprête à annoncer aux milliers de fidèles réunis sur la place, le nom de l’élu. La formule latine sort de sa bouche et retentit magique : « Habemus Papam » (Nous avons un pape). Devant ce balcon-scène où un homme va bientôt se muer en pape, un parterre de fidèles-spectateurs  manifeste bruyamment sa joie. Et puis, l’inimaginable   advient. En coulisse, le pape-acteur rugit et hurle par deux fois. On se presse autour de lui, il murmure « Aiuta me » (aidez-moi), se lève et plutôt que de prendre le chemin de la lumière, s’en va retrouver l’obscurité de ses appartements. Le visage décomposé, le cardinal se retire, les rideaux pourpres flottent au vent, le balcon est vide, le peuple catholique orphelin.

Quelques heures plus tôt, le conclave aura longuement délibéré, voté et revoté sans succès puis comploté pour se choisir un guide parmi cette assemblée de cardinaux dont aucun d’entre eux ne veut devenir pape. Le malheureux, c’est Melville qui, aussitôt élu, se défile et fugue, refusant d’endosser ses responsabilités. Il ne sait comment répondre à cette attente, à cette ferveur populaire. II ne sait pas les mots, il ne connaît plus son texte. Il ne pourra faire qu’un discours  - d’adieu -, court, très court où enfin, devant un parterre stupéfait, il prononcera ces mots :« Le seigneur m’a choisi, mais cela, au lieu de me donner force et conscience de ma valeur, m’écrase et m’angoisse un peu plus (…)  Ce ne peut être moi. Ca ne peut, en aucun cas, être moi ».



Melville fait marche arrière, se retire du balcon. Fin du film, j’appuie sur marche avant : début du rêve. Nous sommes demain, c’est-à-dire aujourd'hui. Nous sommes encore rivés à l’écran – décidément – le regard capté par un programme diffusé par une chaîne cryptée mais exceptionnellement claire. Sur scène, un maître de cérémonie, chevelure poivre et sel, va parler. Il discourt dans une langue fourchue et piquante, fait une pause, prend son inspiration, et proclame « Habemus Cesar ! ». Il est venu annoncer non pas « l’élu » mais la liste des élus choisis par son conclave. Aussi dignes et sans paroles que mon pape, ils défilent un à un sur la scène. Omar Sy ne rigole pas. Maïwen ne pleure pas, Mathieu Kassovitz n’insulte personne et Aki Kaurismaki n’est pas saoul. Ils endossent un à un l’habit blanc du pape, se vêtent et se dévêtent, déclinent tour à tour la proposition d’un simple signe de tête. La scène dure une minute tout au plus. Un temps si court pour une cérémonie réputée aussi longue et ennuyeuse ? Ce ne peut être qu’un rêve. Et puis, Jean Dujardin apparaît sur scène. On ne voit pas ses dents. Il s’approche du micro et prononce ses mots qui résonnent étrangement en moi : «  Ce ne peut être moi. Ca ne peut, en aucun cas, être moi ».  Il s’arrête, quitte la scène, laissant le trophée à ses pieds. Je me réveille.

* Habemus Papam, de Nani Moretti, avec Michel Picoli, Jerzy Stuhr, Nani Moretti et Renato Scarpa, 1h42.








21 février 2012

Fenêtre sur colonne

De là où je me tiens, je lui tourne le dos. L’après-midi, lorsque le soleil pointe à la fenêtre, sa tête couronnée étire son ombre jusqu’à mon épaule. Une simple rotation de trois quart sur ma chaise et je fais face à son dôme vert bouteille. Pour la voir toute entière, pour découvrir ses promesses, il me faut décoller de l’écran, m’approcher de la fenêtre, en ouvrir les larges montants et inspirer l’air frais. Au-dehors, la bande-son est toujours la même. Un fracas de moteurs que seuls les feux apaisent. Au-dehors encore, la même colonne, le même cylindre aux deux faces si dissemblables. Je ne sais si les autres tournent, mais ma colonne Morris, elle, ne tourne pas. De là où je me tiens, je ne peux donc en voir les deux faces. J’ai beau me tordre le corps et le cou, je n’en aperçois que le côté face. Pour le « pile »,  il me faut descendre à hauteur de trottoir. Heureusement, je fume. Je tourne donc plusieurs fois par jour autour de ma colonne. J’en fais le tour comme d’autres lèvent le nez pour voir la programmation des salles de cinéma. Par chance, la mienne ne supporte que des affiches de cinéma. C’est une colonne digne qui se refuse au théâtre de boulevard et aux comédies musicales. C’est une colonne qui a aussi bon dos, endossant sans coup férir bons et mauvais films, rares chefs d’œuvre et nanards multiples.


Le mardi, c’est peau neuve. En milieu de matinée, alors que je lui tourne le dos, ils lui ouvrent le ventre, plaquant sur ses faces des rouleaux fleurant bon l’encre fraîche. Patient, j’attends mon heure, laissant œuvrer les poseurs d’affiche. Et quand vient la faim, je descends fumer auprès de ma colonne. A sa fréquentation, naissent et meurent mes envies de cinéma. Bande-annonce muette de ma semaine, elle me renseigne plus sûrement que son pendant animée et numérique. Image, cadrage, lumière, typo, couleurs, noms du réalisateur, acteurs, scénariste... Tout cela repose et sédimente, guide ou écarte mes pas du chemin des salles. De « Tournée » de Mathieu Amalric, je chéris le souvenir de la belle illustration de Christophe Blain. D’Eastwood, j’oublie la mièvrerie new-age de l’imagerie « Au-delà » et me pâme devant la photo impeccable d’un Di Caprio foulant la pelouse en « J.Edgar ». Et parfois, il y a la stupeur. Comme cette semaine où plus occupé à allumer ma cigarette qu’à observer ma colonne, ma camarade m’a devancée d’une bouffée. Au moment où je posais un premier regard incrédule sur l’affiche, j’ai entendu : « c’est une publicité pour la Grande Récré ? ». Un instant, j’ai craint pour ma colonne. J’ai levé la tête. Obi-Wan Kenoki et son sabre laser, le jeune Anakin Skywalker juché sur son scooter, maître Yoda en plein exercice, et le méchant à tête mouchetée me faisaient face assurant coûte que coûte la promotion du premier épisode de Star Wars en 3D. J’ai visualisé le rayon jouet d’une grande surface, scanné les codes-barres des figurines, masques et autres sabres. J’ai pensé à Georges Lucas, à sa barbe et à sa sale manie de nous faire les poches. J’ai tourné le dos pour la semaine à ma colonne, et j’ai murmuré : « sale gosse ! »

17 février 2012

Nos vies spielbergiennes


Nous sommes tous des enfants de Steven Spielberg. Que vous le vouliez ou non, que vous soyez cinéphiles ou non, que vous préfériez la télé au cinéma, que vous mangiez bruyamment des pop-corn en pleine séance ou que vous preniez le soin d’éteindre votre portable avant même que le générique ne commence, que vous soyez plus raclette que fondue, vous êtes, tout comme moi, un rejeton de Steven. Loin de moi, l’idée d’évoquer un quelconque effet générationnel. Je ne cherche pas ici à vous inventer une filiation factice ou des affinités comportementales fleurant bon le marketing et le saindoux. Non, non, vous êtes réellement le fils ou la fille de Steven Spielberg. Et, en vous comme en moi, coule un flux de photogrammes où Indiana et Tintin poursuivent de concert le camion de Duel à l’arrière duquel est arrimé une gueule béante et pleine de dents (tiens, tiens…) de la mer. Inutile de résister, tout déni ne tendrait qu’à confirmer qu’il y a bien ici un conflit lové dans un coin de votre psyché entre Père Steven et vous.

Moi-même, j’ai longtemps combattu cette idée saugrenue. Puis, tout comme vous le ferez prochainement, j’ai capitulé. La révélation s’est imposée à la vision de la Une du numéro 675 Cahiers du Cinéma. Soit une petite dizaine d’ombres chinoises émanant de la lanterne magique de Spielberg. Là, sur la couverture, flottant dans un rond blanc, j’observais les silhouettes de papier fonctionnant comme autant de signes immédiatement reconnaissables. Un requin vorace, un tyrannosaure menaçant, un aventurier au fouet, un gamin au vélo et à l’extra-terrestre, un soldat débarqué sur une plage, un homme revolver à la main s’apprêtant à commettre l’irréparable pour réparer l’Histoire… Allongé et un peu hagard, feuilletant mollement ce numéro en attendant que la salle de bains ne se libère, j’ai identifié et reconnu un à un les protagonistes de ces histoires. Un album de famille embrassant en une seule image une vie cinématographique rêvée, peuplée des héros et des aventures que notre quotidien ne pourrait jamais nous offrir. Une vie à portée de tous et de toutes, une vie faite pour les enfants que nous avions été et que nous continuerions à être. Aux commandes de cette vie, un père taiseux. Un père avare de mots mais jamais d’images. Je me souviens de tous ces moments passés à ses côtés, dans la salle comme au salon, où prenait forme sur l’écran les histoires qu’il nous contait. Deux heures en moyenne où la fascination cédait le pas à la frustration de voir si vite le rideau retomber sur le spectacle et le merveilleux. Après encore, il nous accompagnait à table, animant les repas et les jeux de nos après-midi où l’ennui n’avait plus cours. Le lendemain, nous contions les exploits de ce père dans la cour de récréation et, plus tard, bien plus tard encore, à la machine à café. Alors peu importe qu’il nous revienne aujourd’hui monté sur un cheval. Qu’importe que l’affiche de ce cheval de guerre nous évoque un salon équidé. Ce qui importe, ce qui nous importe, c’est qu’il revienne toujours, comme pris dans une itération sans fin. Pour que toujours, nous restions les enfants de Steven, pris en otage de nos vies spielbergiennes.

13 février 2012

Jean (Dujardin) qui rit… et j’en peux plus !

Trop. Je te le dis, Jean, c’est trop. Trop de matins à écouter la voix du présentateur annoncer les lieux où tu passes tes soirées, les augustes acteurs que tu as poussé hors du tapis rouge, le nombre de statuettes glanées et la qualité des médailles accrochées à ton smoking. Le service après-vente tourne au jubilée interminable dont on nous prédit qu’il nous faudra endurer l’épreuve jusqu’à ce soir où, enfin, tu brandiras la récompense suprême à la face du monde. Ne plus te voir, ne plus t’entendre. Pas le choix. On te chasse des ondes, on te retrouve sur l’écran. On te zappe et on te retrouve à la une d’un magazine. Et partout, tes dents. Ces dents, si blanches dont on croit entendre le tintement sortant des baffles. Cette bouche figée qui rit tellement, une bouche pleine de dents dessinée pour l’image. Une bouche d’enfant qui semble nous dire « veuillez m’excuser mais je n’ai jamais rêvé que de ça ! Alors, s’il vous plait, laissez-moi en rire de toutes mes dents ». A vrai dire, on te comprend, on n’a pas vraiment de dent contre toi, on pourrait même se prendre à en rire aussi. Au lieu de cela, on montre bêtement les dents, lorsque le présentateur, le journaliste, le politique se réjouit de tes nouvelles prises. 

Mais de quoi s’agit-il ? De quoi Jean Dujardin est-il le nom pour qu’il soit ainsi scandé en tous lieux et à toutes heures ? De cinéma ? Point. D’un phénomène people ? Non plus. Non, en ces temps de (pré) campagne électorale et d'austérité généralisée, a l'heure où l'on accuse le coût devant le déficit de notre balance commerciale et où l’hexagone peine à vendre son savoir-faire et ses produits hors de ses frontières, tu es, cher Jean, la planche de salut de la maison France. Un vrai produit made in France (ton accent en témoigne) doublé d'une authentique réplique/pastiche anglo-saxonne. Un produit culturel au synchrétisme parfait pour s’installer sur l’écran-monde et concourir dans la catégorie box-office. Mais de quoi parle-t-on ? De politique, d’économie, d’entertainment, de culture ? Un peu de tout ou surtout de n’importe quoi ? Et surtout, lorsque Jean aura fini sa moisson, lorsque l’artiste aura quitté l’écran, que restera-t-il de cette tournée sans fin ? Un film, pas vu. Un acteur, réduit à dépoussiérer ses statuettes. Et, nous, à vivre avec le souvenir de ses dents.