21 février 2012

Fenêtre sur colonne

De là où je me tiens, je lui tourne le dos. L’après-midi, lorsque le soleil pointe à la fenêtre, sa tête couronnée étire son ombre jusqu’à mon épaule. Une simple rotation de trois quart sur ma chaise et je fais face à son dôme vert bouteille. Pour la voir toute entière, pour découvrir ses promesses, il me faut décoller de l’écran, m’approcher de la fenêtre, en ouvrir les larges montants et inspirer l’air frais. Au-dehors, la bande-son est toujours la même. Un fracas de moteurs que seuls les feux apaisent. Au-dehors encore, la même colonne, le même cylindre aux deux faces si dissemblables. Je ne sais si les autres tournent, mais ma colonne Morris, elle, ne tourne pas. De là où je me tiens, je ne peux donc en voir les deux faces. J’ai beau me tordre le corps et le cou, je n’en aperçois que le côté face. Pour le « pile »,  il me faut descendre à hauteur de trottoir. Heureusement, je fume. Je tourne donc plusieurs fois par jour autour de ma colonne. J’en fais le tour comme d’autres lèvent le nez pour voir la programmation des salles de cinéma. Par chance, la mienne ne supporte que des affiches de cinéma. C’est une colonne digne qui se refuse au théâtre de boulevard et aux comédies musicales. C’est une colonne qui a aussi bon dos, endossant sans coup férir bons et mauvais films, rares chefs d’œuvre et nanards multiples.


Le mardi, c’est peau neuve. En milieu de matinée, alors que je lui tourne le dos, ils lui ouvrent le ventre, plaquant sur ses faces des rouleaux fleurant bon l’encre fraîche. Patient, j’attends mon heure, laissant œuvrer les poseurs d’affiche. Et quand vient la faim, je descends fumer auprès de ma colonne. A sa fréquentation, naissent et meurent mes envies de cinéma. Bande-annonce muette de ma semaine, elle me renseigne plus sûrement que son pendant animée et numérique. Image, cadrage, lumière, typo, couleurs, noms du réalisateur, acteurs, scénariste... Tout cela repose et sédimente, guide ou écarte mes pas du chemin des salles. De « Tournée » de Mathieu Amalric, je chéris le souvenir de la belle illustration de Christophe Blain. D’Eastwood, j’oublie la mièvrerie new-age de l’imagerie « Au-delà » et me pâme devant la photo impeccable d’un Di Caprio foulant la pelouse en « J.Edgar ». Et parfois, il y a la stupeur. Comme cette semaine où plus occupé à allumer ma cigarette qu’à observer ma colonne, ma camarade m’a devancée d’une bouffée. Au moment où je posais un premier regard incrédule sur l’affiche, j’ai entendu : « c’est une publicité pour la Grande Récré ? ». Un instant, j’ai craint pour ma colonne. J’ai levé la tête. Obi-Wan Kenoki et son sabre laser, le jeune Anakin Skywalker juché sur son scooter, maître Yoda en plein exercice, et le méchant à tête mouchetée me faisaient face assurant coûte que coûte la promotion du premier épisode de Star Wars en 3D. J’ai visualisé le rayon jouet d’une grande surface, scanné les codes-barres des figurines, masques et autres sabres. J’ai pensé à Georges Lucas, à sa barbe et à sa sale manie de nous faire les poches. J’ai tourné le dos pour la semaine à ma colonne, et j’ai murmuré : « sale gosse ! »

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