C’est quoi l’exotisme ?
Une affaire de regard que l’on porte sur ce qui se trame hors de soi, hors de
chez soi ? Un poste d’observation sur les affaires de nos voisins proches
ou lointains, duquel on rapporte ce que l’on y a vu, entendu, perçu. L’exotique
régénère la parole, oxygène la vie de celui qui voyage. C’est toutefois ce qu’il en dit puisque
de ses aventures il lui faut parler et dire ce qu’il rapporte. Le corps passe
la frontière mais l’esprit reste captif de la boîte crânienne. Au cinéma aussi
on voyage et c’est tout aussi chic... On peut déterritorialiser son cinéma, poser
sa caméra dans cet ailleurs où l’on ne nous attend pas. Confronter son art et
raconter ses histoires en d’autres lieux et dans une autre langue, voilà qui
est neuf. Au cinéma aussi, les réalisateurs voyagent avec autant de bonheur que
nous autres. Et les souvenirs qu’ils en rapportent, les soirées diapos
auxquelles ils nous invitent sont tout aussi réussies que les nôtres... C’est un cinéma de
carte postale dont on décolle avec précaution le timbre avant de se rendre
compte qu’il ne vaut rien. Moi, les cartes postales, je les parcours d’un œil
las et les aimante sur le capot de ma chaudière, dont la coque est, vous
l’aurez noté, en métal.
Ils veulent faire des films
Ma première expérience de
ciné-postal remonte à cinq ans. C’était à Cannes dans la salle Lumière. J’étais
un peu plus jeune qu’aujourd’hui et assez excité à l’idée de voir comment Wong
Kar Wai avait pu voyager jusqu’à nous, d’Orient à Occident. Je n’ai pas été
déçu et me souvent avec émotion comment Norah Jones croquait ou ne croquait pas
- je ne sais plus - dans sa tarte aux myrtilles. L’écran était bleu nuit, taché
par le fruit, sans doute un peu pourri. Je me suis endormi. Les années ont
passé, Wong-Kar-Wai ne s’en est pas tout à fait remis mais il a transmis sa
passion philatéliste à d’autres grands. De leur cinéma usé par tant d’images,
de films et de louanges, ils se sont semblent-ils lassés. Ils ont quitté le
pays, traversé les mers pour muter
en d’ennuyeux touristes. Woody Allen est le plus touché. Passe encore sur son
début de séjour à Londres (Match point, Scoop) où il maîtrisait encore la
langue, faisons lui grâce de son escale parisienne (Midnight in Paris) mais on
ne peut lui pardonner sa virée espagnole (Vicky, Christina, Barcelona) et son
naufrage Italien (From Rome to love). Second cinéaste, exilé volontaire et
exotique volontaire, Abbas Kiarostami qui, après une drôle de « Copie conforme »
au « Voyage en Italie » de Rossellini, propose aujourd’hui :
« Like someone in love ». Là, nous atteignons très certainement les
confins de l’exotisme du ciné-postal : un iranien filmant au japon. C’est
tout simplement du jamais vu. Afin
de faire revenir à la raison ces cinéastes égarés, j’offre le mot de la fin à
Philippe Katerine, dont les textes sont pourtant peu connus pour leur
rationalité : « Je veux faire un film avec une femme nue et des
handicapés. Pourquoi je veux faire un film avec une femme nue et des handicapés
? Pourquoi ? Je ne sais pas. Est-ce qu’il vaut mieux le savoir ou pas ? ».
Et de conclure après avoir donné la parole à ses deux parents « Est-ce
qu’il vaut mieux le faire ou pas ? ».