« Toutes les grandes personnes ont d’abord été des
enfants (mais peu s’en souviennent)». Lui si. Ou plutôt croit s’en souvenir.
Pour faire simple, Tim Burton, c’est un peu le Petit Prince de Saint-Exupéry -
dont chacun aura reconnu l’exergue qui sert d’accroche à ce billet - en brun,
très brun, aussi brun que le petit Prince est blond. Deux petits bonhommes tous
les deux très hirsutes aux univers tout aussi décalés. Deux petits princes,
l’un du jour et l’autre de la nuit, qui entretiennent avec le monde des
adultes, des rapports compliqués dominés par l’incompréhension et le quiproquo.
Et puis un jour « paf ! », ils rencontrent un ami et
« bam ! », leur vie en est changé. Pour l’original - le Petit
Prince - se fut un aviateur dont
le moteur cassa en plein désert. Pour sa copie nocturne, se ne fut pas un mais
des millions d’amis qui s’éprirent de son homme chauve-souris. Et je vous parle
d’un monde avant l’avènement des réseaux sociaux, c’est vous dire... Un ami
nombreux donc, mais un peu mou répondant au nom de « grand public ».
Un comble pour un type réputé asocial à l’imagerie gothique et peu amène. Moi,
je n’ai pas succombé. Non pas que je me refuse à être mou. Non. J’étais
jeune ? Non plus. J’étais adolescent et donc parfaitement enclin à la mollesse.
Batman, et plus encore le cinéma, me passait tout bonnement au-dessus de la
tête. Je n’avais pas la tête à cela même si je chérissais la même année 89 les
mélopées sinistres d’un type à la chevelure aussi hirsute, grasse et laquée que
celle de Tim. J’écoutais The Cure. J’étais gothique l’année de naissance
cinématographique de Tim et je n’ai pourtant rien vu venir.
Passons. C’est aujourd’hui sa fête, et qu’on se le dise,
cette année sera la sienne. Deux films à l’affiche, l’un avec son inoxydable alter
ego – Johnny Deep – l’autre en stop-motion, noir&blanc et avec Disney. Consécration ultime, une rétrospective
à la cinémathèque française doublée d’une exposition « événement ».
Je le savais. Je veux dire, je savais que la cinémathèque lui ouvrait grandes
ses portes au mois de mars. Mais ce que je ne savais pas, c’est que cette
exposition initierait une question restée à ce jour sans réponse :
« Ai-je vraiment envie de déambuler une fois encore dans les méandres sans
fin du bâtiment de Franck Gehry et de hausser les épaules devant ses enfants
aux faces hâves et aux grands yeux tristes ? ». C’était dimanche, il
faisait gris, j’ai ouvert mon Télérama Sortir à la page idoine, il n’y avait
rien. J’avais quelques jours d’avance. L’affaire était réglée, j’attendrais
pour me décider. Ne sachant que faire, j’ai interrogé mon rapport au petit
Prince de la Nuit pour savoir ou non si je l’aimais. Patiemment, j’ai décidé de
procéder à mon propre accrochage. J’ai donc déambulé dans la galerie virtuelle
de mes souvenirs Burtoniens et ai procédé seul à mon vernissage.
Le premier, j’ai honte : Mars Attacks. Nous sommes en
1996, je connais à peine le nom de Burton et là, assis devant moi mais me
tournant le dos, un type en perfecto dit toute son excitation et son admiration
à mon patron pour l’inventeur de ses extraterrestres écorchés. Je ne dis rien,
j’écoute. Heureusement, on ne me demande pas mon avis, je suis stagiaire. Je
verrais le film cinq ans plus tard et n’en conserverai aucun souvenir. Trois
ans ont passé et je vais mieux. Je file voir Sleepy Hollow, m’éprend de ce
conte morbide où fantastique et pragmatisme luttent sans merci pour obtenir les
faveurs du spectateur. J’aime tellement que je propose à mes parents de m’y
accompagner une seconde fois. Je vais mieux, vraiment. Puis arrive la planète
des singes et je décroche une première fois. Passent alors Big Fish et Charlie
sans même que je ne me retourne. Et arrive Sweeney Todd le diabolique barbier
de Fleet Street où je crois lire dans le titre un écho à la qualité de la
narration du cavalier sans tête. Faux. J’exècre tout : la musique, le
maquillage, la laideur des décors, la pantomime et le cabotinage de Deep. Et
puis, « bam ! » : une palme sur l’écran noir. Nous sommes
un dimanche de mai 2010. La cérémonie touche à sa fin, une femme pose une
question à un petit bonhomme terré au fond de sa chaise : « Mister
President : who won the palme d’or ? » Un peu absent, pas très à
son aise, le visage barré de ses montures noires, le président répond :
« Apichatong Weerasethakul for Uncle Boonmee Who can recall his past
lives ». C’est un beau titre, mystérieux, plein de promesses tenues. Il y
a un grand singe aux yeux rouges qui hante la forêt et le film. J’ai accroché
cette image au-dessus de mon bureau. Ca me permet de tenir. Pour cela et un peu
pour le reste, j’irai rendre visite à Tim à la cinémathèque.
Merci pour ce super moment passé à te lire :-)
RépondreSupprimerFulch