6 mars 2012

Tim & Me

« Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants (mais peu s’en souviennent)». Lui si. Ou plutôt croit s’en souvenir. Pour faire simple, Tim Burton, c’est un peu le Petit Prince de Saint-Exupéry - dont chacun aura reconnu l’exergue qui sert d’accroche à ce billet - en brun, très brun, aussi brun que le petit Prince est blond. Deux petits bonhommes tous les deux très hirsutes aux univers tout aussi décalés. Deux petits princes, l’un du jour et l’autre de la nuit, qui entretiennent avec le monde des adultes, des rapports compliqués dominés par l’incompréhension et le quiproquo. Et puis un jour « paf ! », ils rencontrent un ami et « bam ! », leur vie en est changé. Pour l’original - le Petit Prince -  se fut un aviateur dont le moteur cassa en plein désert. Pour sa copie nocturne, se ne fut pas un mais des millions d’amis qui s’éprirent de son homme chauve-souris. Et je vous parle d’un monde avant l’avènement des réseaux sociaux, c’est vous dire... Un ami nombreux donc, mais un peu mou répondant au nom de « grand public ». Un comble pour un type réputé asocial à l’imagerie gothique et peu amène. Moi, je n’ai pas succombé. Non pas que je me refuse à être mou. Non. J’étais jeune ? Non plus. J’étais adolescent et donc parfaitement enclin à la mollesse. Batman, et plus encore le cinéma, me passait tout bonnement au-dessus de la tête. Je n’avais pas la tête à cela même si je chérissais la même année 89 les mélopées sinistres d’un type à la chevelure aussi hirsute, grasse et laquée que celle de Tim. J’écoutais The Cure. J’étais gothique l’année de naissance cinématographique de Tim et je n’ai pourtant rien vu venir.


Passons. C’est aujourd’hui sa fête, et qu’on se le dise, cette année sera la sienne. Deux films à l’affiche, l’un avec son inoxydable alter ego – Johnny Deep – l’autre en stop-motion, noir&blanc et avec Disney.  Consécration ultime, une rétrospective à la cinémathèque française doublée d’une exposition « événement ». Je le savais. Je veux dire, je savais que la cinémathèque lui ouvrait grandes ses portes au mois de mars. Mais ce que je ne savais pas, c’est que cette exposition initierait une question restée à ce jour sans réponse : « Ai-je vraiment envie de déambuler une fois encore dans les méandres sans fin du bâtiment de Franck Gehry et de hausser les épaules devant ses enfants aux faces hâves et aux grands yeux tristes ? ». C’était dimanche, il faisait gris, j’ai ouvert mon Télérama Sortir à la page idoine, il n’y avait rien. J’avais quelques jours d’avance. L’affaire était réglée, j’attendrais pour me décider. Ne sachant que faire, j’ai interrogé mon rapport au petit Prince de la Nuit pour savoir ou non si je l’aimais. Patiemment, j’ai décidé de procéder à mon propre accrochage. J’ai donc déambulé dans la galerie virtuelle de mes souvenirs Burtoniens et ai procédé seul à mon vernissage.

Le premier, j’ai honte : Mars Attacks. Nous sommes en 1996, je connais à peine le nom de Burton et là, assis devant moi mais me tournant le dos, un type en perfecto dit toute son excitation et son admiration à mon patron pour l’inventeur de ses extraterrestres écorchés. Je ne dis rien, j’écoute. Heureusement, on ne me demande pas mon avis, je suis stagiaire. Je verrais le film cinq ans plus tard et n’en conserverai aucun souvenir. Trois ans ont passé et je vais mieux. Je file voir Sleepy Hollow, m’éprend de ce conte morbide où fantastique et pragmatisme luttent sans merci pour obtenir les faveurs du spectateur. J’aime tellement que je propose à mes parents de m’y accompagner une seconde fois. Je vais mieux, vraiment. Puis arrive la planète des singes et je décroche une première fois. Passent alors Big Fish et Charlie sans même que je ne me retourne. Et arrive Sweeney Todd le diabolique barbier de Fleet Street où je crois lire dans le titre un écho à la qualité de la narration du cavalier sans tête. Faux. J’exècre tout : la musique, le maquillage, la laideur des décors, la pantomime et le cabotinage de Deep. Et puis, « bam ! » : une palme sur l’écran noir. Nous sommes un dimanche de mai 2010. La cérémonie touche à sa fin, une femme pose une question à un petit bonhomme terré au fond de sa chaise : « Mister President : who won the palme d’or ? » Un peu absent, pas très à son aise, le visage barré de ses montures noires, le président répond : « Apichatong Weerasethakul for Uncle Boonmee Who can recall his past lives ». C’est un beau titre, mystérieux, plein de promesses tenues. Il y a un grand singe aux yeux rouges qui hante la forêt et le film. J’ai accroché cette image au-dessus de mon bureau. Ca me permet de tenir. Pour cela et un peu pour le reste, j’irai rendre visite à Tim à la cinémathèque.

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