Déplacer le
centre de nos vies, déporter l’épicentre de nos réflexes culturels et partir
loin de nos terres pour aller voir par hasard si, là-bas, un peu de nous s’y
trouve. Lorsque tout pousse à partir, à porter le regard au-delà de ce que l’on
voudrait que l’on voit, que voit-on ? Sur les écrans de France, encore, on
peut se déterritorialiser l’espace d’une séance. Par chance, en ce presque
printemps, les salles affichaient encore la semaine passée, un possible improbable :
« Oslo, 31 août ». C’est à cette conjonction d’espace et de temps que
j’ai subitement eu envie de me frotter. J’étais à Nice, Côte-d’azur, il faisait
chaud. Posté sur un balcon, inspirant massivement la fumée d’une blonde, je
voyais disparaître les phares jaunes des autos dans les méandres de la colline
de Cimiez. La nuit d’avant, la terre avait tremblée. Les tours et détours de la
route ressemblaient à ceux de Mulholland drive. J’avais envie que l’on me
raconte une histoire, j’avais envie de cinéma. Mais rien n’y faisait, il me
faudrait attendre. Patienter jusqu’à Paris pour enfin, par un dernier détour,
découvrir « Oslo 31 août ».
En partant
aussi loin, j’avais cru à un possible exotisme. Je m’étais trompé. Les mêmes
gens avec les mêmes préoccupations fréquentant les mêmes fêtes et portant les
mêmes habits. Nous étions en Europe, nous vivions mondialisés, tout était
semblable en un autre point du globe, un peu plus au Nord. Quoi de plus
normal ? Et pourtant, une heure et demie plus tard, à la sortie de la
salle, j’avais, par la magie de la mise en scène de Joachim Trier visité Oslo.
Je connaissais la ville précisément.
J’ai eu pour guide Anders et ses
tentatives de retours au monde. De son centre de désintox en lisière de la
ville, il a d’abord franchi à pied le périphérique, dormi dans un motel puis au
matin s’est glissé dans l’eau grise d’un lac en prenant soin de se lester de
pierres pour rester tout au fond. Anders a voulu mourir. Puis Anders a voulu
vivre, il a donc tout naturellement ressorti la tête de l’eau. Il est mouillé,
il est penaud, écartelé entre volonté et renoncement. Pour décrocher de la
drogue, s’arracher à son passé de camé, Anders doit pouvoir s’accrocher à
quelque chose, à quelqu’un. Et c’est à cette tentative de retour au monde des
vivants que l’on assiste, pris dans un mouvement de va-et-vient où Anders
s’accroche puis décroche inéluctablement. La ville sert ici de terrain de jeu,
glissante et sans plan, impuissante à retenir l’un des siens. Le possible
employeur, les amis, les amours, la famille, toute rencontre semble être
l’espace d’un instant un possible point d’ancrage avant qu’Anders ne finisse
par céder du terrain. Au milieu du film, dort une belle scène. Dans un café
ouvert sur la ville, Anders écoute une conversation. Il en capte des bribes,
semble la suivre puis l’abandonne. Une autre commence et s’éteint encore. Puis,
c’est un corps qui s’échappe du café, une jeune femme dont il suit du regard
les jambes, et l’accompagne en pensées, un instant, jusque chez elle. L’instant
d’après, la caméra revient au café, la jeune femme est oubliée, Anders a
décroché et peut repartir dans la ville se perdre en détours. Tout est vain.
Rien n’accroche. Au petit matin, lorsque plus rien ni personne ne retient, le
poison peut enfin remonter dans les veines et se frayer un chemin jusqu’au cœur
pour l’arrêter. Le film remonte en plans fixes, les lieux où Anders s’est
essayé à revenir au monde. Le retour au monde n’était que détours. Et parce que
plus rien n’accroche, le film peut décrocher.
Quelle belle analyse poétique!Ce texte donne envie de découvrir les images!Bravo à l'amoureux d Cinéma,vraiment!
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