27 mars 2012

Festival de Cannes : la guerre des présidents aura bien lieu


« On dirait que je serais le président et on dirait que tu serais le premier ministre ». Ces mots, Gilles Jacob, président du Festival de Cannes, ne les a jamais prononcés. Et, Thierry Frémaux, délégué général du Festival, ne les a jamais entendus. Ils sont l’un et l’autre trop âgés pour s’adonner à de pareils enfantillages. Et même en 2001, année où Gilles offrit son écharpe de délégué à Thierry et où il revêtit son habit de président, il ne s’est jamais rien passé de tel, promis juré. Ces jeux sont réservés aux cours de récré ou au cinéma fantasque et génial d’Alain Cavalier où les charges électives se jouent à la courte paille. A Cannes, dans le palais des festivals, point de faux-semblants, chacun connaît sa partition et la joue en évitant les fausses notes. On connaît sa constitution sur le bout des doigts, on maîtrise sa Vème république. Le président préside, un point c’est tout. Il incarne l’institution dans la durée, il est sa permanence et son meilleur garant. Il ne prend la parole que lorsque la situation le nécessite. Le job de Jacob ? C’est par exemple éconduire Lars Von Trier lorsque l’homme tient des propos nauséabonds en conférence de presse mais conserver en compétition le film et l’auteur. C’est un vrai et bon président, juste et cinéphile, dont la parole est rare et mesurée, toujours présent en haut des marches pour accueillir les impétrants au panthéon de la cinéphilie mondiale. Son premier ministre, son délégué général, qu’il dépasse de deux bonnes marches est un homme pressé. Il faut dire que l’homme gouverne un palais, qu’il nomme un jury et sélectionne les films. Tour à tour artificier, pompier et pyromane, allumant ici la mèche des festivités, éteignant plus loin l’incendie qui couve ou ravivant en milieu de compétition les flammes d’une édition qui s’enlise.

La république de Cannes est bien une émule de la Vème république. A ceci près qu’elle ne connaît peu ou pas d’élections sinon celle de son conseil d’administration qui a reconduit en décembre dernier le duo pour trois années supplémentaires. De cette tacite reconduction, personne n’a entendu parler, ou si peu. Du manque d’alternance à la tête de l’institution, personne ne s’est plaint. Du moins en apparence. Car, dans l’ombre, sous les ors d’un autre palais, un homme attend. En silence, un homme se prépare et se livre peu à peu. 

Il faut lire le sous-texte. L’air grave, il dit « avoir changé », n’être plus le même homme. Il dit réserver l’essentiel de ses soirées aux classiques du cinéma qu’il visionne avec sa femme. Il annonce « regarder 150 films » par an et vouloir rattraper le temps perdu. Il dit aussi être prêt à quitter la politique en cas de défaite, qu’il y a plus enviable que sa place de président… de la république. Mais pour quoi Nicolas Sarkozy fait-il campagne ? En réalité, il bachotte en secret. On lui trouve la mine défaite ? C’est qu’il passe toutes ses nuits devant sa télé. Les sondages le donnent largement perdant au second tour ? Il conserve sa superbe continuant à battre le pavé de ces villes de province qu’il déteste. Il se sait vaincu et ça lui plaît. Lui plaît de se dire, en cinéphile converti, qu’il y a plus beau que le perron de l’Elysée : il y a les marches du palais des festivals. Qu’il y a plus aimable compagnie que celle de François Fillon : il y a Thierry Frémaux. Alors, Nicolas attend sereinement la suite, fourbissant ses armes pour déstabiliser la statue du commandeur Jacob. Le 6 mai prochain, à dix jours de l’ouverture du festival de Cannes, un visage se dessinera lentement sur les écrans. La France retiendra son souffle. Ce soir là, à 20h30, un homme ne découvrira peut-être pas son visage sur l’écran. Il quittera son canapé. Il se tournera vers sa femme, lui adressera un sourire. Le coin droit de sa bouche et son épaule monteront en rythme et de sa plus belle voix, de celle qu’elle adore, il lui demandera  « Bon alors, qu’est-ce que l’on regarde ce soir ? ». A 900 kilomètres plus au sud, dans son palais des festivals, un homme éteindra sa télé en tremblant.

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