17 février 2012

Nos vies spielbergiennes


Nous sommes tous des enfants de Steven Spielberg. Que vous le vouliez ou non, que vous soyez cinéphiles ou non, que vous préfériez la télé au cinéma, que vous mangiez bruyamment des pop-corn en pleine séance ou que vous preniez le soin d’éteindre votre portable avant même que le générique ne commence, que vous soyez plus raclette que fondue, vous êtes, tout comme moi, un rejeton de Steven. Loin de moi, l’idée d’évoquer un quelconque effet générationnel. Je ne cherche pas ici à vous inventer une filiation factice ou des affinités comportementales fleurant bon le marketing et le saindoux. Non, non, vous êtes réellement le fils ou la fille de Steven Spielberg. Et, en vous comme en moi, coule un flux de photogrammes où Indiana et Tintin poursuivent de concert le camion de Duel à l’arrière duquel est arrimé une gueule béante et pleine de dents (tiens, tiens…) de la mer. Inutile de résister, tout déni ne tendrait qu’à confirmer qu’il y a bien ici un conflit lové dans un coin de votre psyché entre Père Steven et vous.

Moi-même, j’ai longtemps combattu cette idée saugrenue. Puis, tout comme vous le ferez prochainement, j’ai capitulé. La révélation s’est imposée à la vision de la Une du numéro 675 Cahiers du Cinéma. Soit une petite dizaine d’ombres chinoises émanant de la lanterne magique de Spielberg. Là, sur la couverture, flottant dans un rond blanc, j’observais les silhouettes de papier fonctionnant comme autant de signes immédiatement reconnaissables. Un requin vorace, un tyrannosaure menaçant, un aventurier au fouet, un gamin au vélo et à l’extra-terrestre, un soldat débarqué sur une plage, un homme revolver à la main s’apprêtant à commettre l’irréparable pour réparer l’Histoire… Allongé et un peu hagard, feuilletant mollement ce numéro en attendant que la salle de bains ne se libère, j’ai identifié et reconnu un à un les protagonistes de ces histoires. Un album de famille embrassant en une seule image une vie cinématographique rêvée, peuplée des héros et des aventures que notre quotidien ne pourrait jamais nous offrir. Une vie à portée de tous et de toutes, une vie faite pour les enfants que nous avions été et que nous continuerions à être. Aux commandes de cette vie, un père taiseux. Un père avare de mots mais jamais d’images. Je me souviens de tous ces moments passés à ses côtés, dans la salle comme au salon, où prenait forme sur l’écran les histoires qu’il nous contait. Deux heures en moyenne où la fascination cédait le pas à la frustration de voir si vite le rideau retomber sur le spectacle et le merveilleux. Après encore, il nous accompagnait à table, animant les repas et les jeux de nos après-midi où l’ennui n’avait plus cours. Le lendemain, nous contions les exploits de ce père dans la cour de récréation et, plus tard, bien plus tard encore, à la machine à café. Alors peu importe qu’il nous revienne aujourd’hui monté sur un cheval. Qu’importe que l’affiche de ce cheval de guerre nous évoque un salon équidé. Ce qui importe, ce qui nous importe, c’est qu’il revienne toujours, comme pris dans une itération sans fin. Pour que toujours, nous restions les enfants de Steven, pris en otage de nos vies spielbergiennes.

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