27 mars 2012

Festival de Cannes : la guerre des présidents aura bien lieu


« On dirait que je serais le président et on dirait que tu serais le premier ministre ». Ces mots, Gilles Jacob, président du Festival de Cannes, ne les a jamais prononcés. Et, Thierry Frémaux, délégué général du Festival, ne les a jamais entendus. Ils sont l’un et l’autre trop âgés pour s’adonner à de pareils enfantillages. Et même en 2001, année où Gilles offrit son écharpe de délégué à Thierry et où il revêtit son habit de président, il ne s’est jamais rien passé de tel, promis juré. Ces jeux sont réservés aux cours de récré ou au cinéma fantasque et génial d’Alain Cavalier où les charges électives se jouent à la courte paille. A Cannes, dans le palais des festivals, point de faux-semblants, chacun connaît sa partition et la joue en évitant les fausses notes. On connaît sa constitution sur le bout des doigts, on maîtrise sa Vème république. Le président préside, un point c’est tout. Il incarne l’institution dans la durée, il est sa permanence et son meilleur garant. Il ne prend la parole que lorsque la situation le nécessite. Le job de Jacob ? C’est par exemple éconduire Lars Von Trier lorsque l’homme tient des propos nauséabonds en conférence de presse mais conserver en compétition le film et l’auteur. C’est un vrai et bon président, juste et cinéphile, dont la parole est rare et mesurée, toujours présent en haut des marches pour accueillir les impétrants au panthéon de la cinéphilie mondiale. Son premier ministre, son délégué général, qu’il dépasse de deux bonnes marches est un homme pressé. Il faut dire que l’homme gouverne un palais, qu’il nomme un jury et sélectionne les films. Tour à tour artificier, pompier et pyromane, allumant ici la mèche des festivités, éteignant plus loin l’incendie qui couve ou ravivant en milieu de compétition les flammes d’une édition qui s’enlise.

La république de Cannes est bien une émule de la Vème république. A ceci près qu’elle ne connaît peu ou pas d’élections sinon celle de son conseil d’administration qui a reconduit en décembre dernier le duo pour trois années supplémentaires. De cette tacite reconduction, personne n’a entendu parler, ou si peu. Du manque d’alternance à la tête de l’institution, personne ne s’est plaint. Du moins en apparence. Car, dans l’ombre, sous les ors d’un autre palais, un homme attend. En silence, un homme se prépare et se livre peu à peu. 

Il faut lire le sous-texte. L’air grave, il dit « avoir changé », n’être plus le même homme. Il dit réserver l’essentiel de ses soirées aux classiques du cinéma qu’il visionne avec sa femme. Il annonce « regarder 150 films » par an et vouloir rattraper le temps perdu. Il dit aussi être prêt à quitter la politique en cas de défaite, qu’il y a plus enviable que sa place de président… de la république. Mais pour quoi Nicolas Sarkozy fait-il campagne ? En réalité, il bachotte en secret. On lui trouve la mine défaite ? C’est qu’il passe toutes ses nuits devant sa télé. Les sondages le donnent largement perdant au second tour ? Il conserve sa superbe continuant à battre le pavé de ces villes de province qu’il déteste. Il se sait vaincu et ça lui plaît. Lui plaît de se dire, en cinéphile converti, qu’il y a plus beau que le perron de l’Elysée : il y a les marches du palais des festivals. Qu’il y a plus aimable compagnie que celle de François Fillon : il y a Thierry Frémaux. Alors, Nicolas attend sereinement la suite, fourbissant ses armes pour déstabiliser la statue du commandeur Jacob. Le 6 mai prochain, à dix jours de l’ouverture du festival de Cannes, un visage se dessinera lentement sur les écrans. La France retiendra son souffle. Ce soir là, à 20h30, un homme ne découvrira peut-être pas son visage sur l’écran. Il quittera son canapé. Il se tournera vers sa femme, lui adressera un sourire. Le coin droit de sa bouche et son épaule monteront en rythme et de sa plus belle voix, de celle qu’elle adore, il lui demandera  « Bon alors, qu’est-ce que l’on regarde ce soir ? ». A 900 kilomètres plus au sud, dans son palais des festivals, un homme éteindra sa télé en tremblant.

19 mars 2012

Détours au monde : « Oslo, 31 août »

Déplacer le centre de nos vies, déporter l’épicentre de nos réflexes culturels et partir loin de nos terres pour aller voir par hasard si, là-bas, un peu de nous s’y trouve. Lorsque tout pousse à partir, à porter le regard au-delà de ce que l’on voudrait que l’on voit, que voit-on ? Sur les écrans de France, encore, on peut se déterritorialiser l’espace d’une séance. Par chance, en ce presque printemps, les salles affichaient encore la semaine passée, un possible improbable : « Oslo, 31 août ». C’est à cette conjonction d’espace et de temps que j’ai subitement eu envie de me frotter. J’étais à Nice, Côte-d’azur, il faisait chaud. Posté sur un balcon, inspirant massivement la fumée d’une blonde, je voyais disparaître les phares jaunes des autos dans les méandres de la colline de Cimiez. La nuit d’avant, la terre avait tremblée. Les tours et détours de la route ressemblaient à ceux de Mulholland drive. J’avais envie que l’on me raconte une histoire, j’avais envie de cinéma. Mais rien n’y faisait, il me faudrait attendre. Patienter jusqu’à Paris pour enfin, par un dernier détour, découvrir « Oslo 31 août ».

En partant aussi loin, j’avais cru à un possible exotisme. Je m’étais trompé. Les mêmes gens avec les mêmes préoccupations fréquentant les mêmes fêtes et portant les mêmes habits. Nous étions en Europe, nous vivions mondialisés, tout était semblable en un autre point du globe, un peu plus au Nord. Quoi de plus normal ? Et pourtant, une heure et demie plus tard, à la sortie de la salle, j’avais, par la magie de la mise en scène de Joachim Trier visité Oslo. Je connaissais la ville précisément. 

J’ai eu pour guide Anders et ses tentatives de retours au monde. De son centre de désintox en lisière de la ville, il a d’abord franchi à pied le périphérique, dormi dans un motel puis au matin s’est glissé dans l’eau grise d’un lac en prenant soin de se lester de pierres pour rester tout au fond. Anders a voulu mourir. Puis Anders a voulu vivre, il a donc tout naturellement ressorti la tête de l’eau. Il est mouillé, il est penaud, écartelé entre volonté et renoncement. Pour décrocher de la drogue, s’arracher à son passé de camé, Anders doit pouvoir s’accrocher à quelque chose, à quelqu’un. Et c’est à cette tentative de retour au monde des vivants que l’on assiste, pris dans un mouvement de va-et-vient où Anders s’accroche puis décroche inéluctablement. La ville sert ici de terrain de jeu, glissante et sans plan, impuissante à retenir l’un des siens. Le possible employeur, les amis, les amours, la famille, toute rencontre semble être l’espace d’un instant un possible point d’ancrage avant qu’Anders ne finisse par céder du terrain. Au milieu du film, dort une belle scène. Dans un café ouvert sur la ville, Anders écoute une conversation. Il en capte des bribes, semble la suivre puis l’abandonne. Une autre commence et s’éteint encore. Puis, c’est un corps qui s’échappe du café, une jeune femme dont il suit du regard les jambes, et l’accompagne en pensées, un instant, jusque chez elle. L’instant d’après, la caméra revient au café, la jeune femme est oubliée, Anders a décroché et peut repartir dans la ville se perdre en détours. Tout est vain. Rien n’accroche. Au petit matin, lorsque plus rien ni personne ne retient, le poison peut enfin remonter dans les veines et se frayer un chemin jusqu’au cœur pour l’arrêter. Le film remonte en plans fixes, les lieux où Anders s’est essayé à revenir au monde. Le retour au monde n’était que détours. Et parce que plus rien n’accroche, le film peut décrocher.

13 mars 2012

Bob Dylan comme au cinéma

Exposer la musique, c’est donner à voir des sons. Exposer un musicien, c’est restituer par l’image, animée ou statique, le talent qui l’anime, la grâce qui le porte et le charme qui opère. C’est à cette intenable promesse que la cité de la musique se frotte avec l’exposition « Bob Dylan, l’explosion rock 61-66 ». Un accrochage tout de bleu paré où saint-bob fait la bobe, la moue superbe, un rictus accroché aux commissures, l’air de dire « pourquoi diable, vous êtes-vous déplacés ? ». On lui répondra « pour te voir Bob, pour te voir, tout simplement ». Comme on prend une place de concert, comme on va au cinéma, nous sommes venus pour te voir ou plutôt tenir entre nos mains, une image, une icône sacrée, celle de ton visage au lendemain de tes vingt ans. Une image que l’on a conservé de toi, les cheveux en bataille, le jean noir bien ajusté - avant que les Strokes ne le remette au goût du jour - et les wayfarer forcément noires - avant que les « jeunes pop » ne les portent sur le bout du nez qu’ils ont long. C’est cette image et non celle d’un homme à la moustache fine et sévère reprenant pépère et d’une voix inaudible, car trop (é)raillée, des chants de Noël que nous sommes venus voir. Celle-ci n’existe pas. Pas pour nous, pas ici et c’est tant mieux. 

Les gens de la Cité l’ont bien compris. A défaut d’en avoir eu l’initiative, ils ont eu une bonne intuition en achetant l’exposition conçue par le Grammy Museum de Los Angeles. Alors, avoir 20 ans et s’appeler Bob Dylan au milieu des années 60, qu’est ce que cela fait, quel film cela aurait-il fait ? La réponse formulée par l’exposition nous livre trois témoignages essentiels. 

Oublions la salle 1 consacrée aux influences musicales du jeune Robert Zimmerman et laissons donc la guitare de Presley aux adorateurs de reliques. Oublions aussi la salle 2 et la période protest-song dont le bois dont sont faites les guitares sent le sapin. Filez droit devant vous. Faites un long stop dans la galerie où sont exposés les photos de Daniel Kramer, instants de grâce capturés en 65. Dylan en coulisses, Dylan au café, Dylan dans la rue. Dylan, toujours Dylan dans un même noir et blanc plein de grains. Puis, arrivés tout au bout du couloir, tournez à droite en salle 3 et enfoncez-vous dans le noir. Restez debout et faites lui face. Vous êtes en 65 et Dylan est sur scène. Ecoutez voir « Like a rolling stone ». Prenez votre respiration, descendez en sous-sol et passez, passez vite, la session cocardière où Bob fait connaissance avec la France. Dites-vous bien que la rencontre avec Hugues Aufray et Johnny Hallyday n’a pas réellement eu lieu en 65. Il faut dépasser le cauchemar et aller plus loin, là où il fait noir et où est projeté la pellicule de D.A Pennebaker. A nouveau, une silhouette électrique se découpant dans le noir cette même année1965. Un été où l’héritier d’Hank Williams et de Woody Guthrie délaisse l’héritage folk pour le rock. Une année maudite pour l’artiste où passée la déflagration de sa prestation au Newport Folk festival, il se fera hué et insulté sur toutes les scènes du monde où il branchera sa guitare. C’est le film de cette année-là qui fascine. C’est le film de cette année 65 qu’il faut voir et revoir pour comprendre toute l’importance de Dylan. Un Dylan qui fait l’histoire en jouant au musicien et en faisant l’acteur. Un Dylan de cinéma. 

Exposition du 6 mars au 15 juillet 2012 à la Cité de la Musique
www.citedelamusique.fr

6 mars 2012

Tim & Me

« Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants (mais peu s’en souviennent)». Lui si. Ou plutôt croit s’en souvenir. Pour faire simple, Tim Burton, c’est un peu le Petit Prince de Saint-Exupéry - dont chacun aura reconnu l’exergue qui sert d’accroche à ce billet - en brun, très brun, aussi brun que le petit Prince est blond. Deux petits bonhommes tous les deux très hirsutes aux univers tout aussi décalés. Deux petits princes, l’un du jour et l’autre de la nuit, qui entretiennent avec le monde des adultes, des rapports compliqués dominés par l’incompréhension et le quiproquo. Et puis un jour « paf ! », ils rencontrent un ami et « bam ! », leur vie en est changé. Pour l’original - le Petit Prince -  se fut un aviateur dont le moteur cassa en plein désert. Pour sa copie nocturne, se ne fut pas un mais des millions d’amis qui s’éprirent de son homme chauve-souris. Et je vous parle d’un monde avant l’avènement des réseaux sociaux, c’est vous dire... Un ami nombreux donc, mais un peu mou répondant au nom de « grand public ». Un comble pour un type réputé asocial à l’imagerie gothique et peu amène. Moi, je n’ai pas succombé. Non pas que je me refuse à être mou. Non. J’étais jeune ? Non plus. J’étais adolescent et donc parfaitement enclin à la mollesse. Batman, et plus encore le cinéma, me passait tout bonnement au-dessus de la tête. Je n’avais pas la tête à cela même si je chérissais la même année 89 les mélopées sinistres d’un type à la chevelure aussi hirsute, grasse et laquée que celle de Tim. J’écoutais The Cure. J’étais gothique l’année de naissance cinématographique de Tim et je n’ai pourtant rien vu venir.


Passons. C’est aujourd’hui sa fête, et qu’on se le dise, cette année sera la sienne. Deux films à l’affiche, l’un avec son inoxydable alter ego – Johnny Deep – l’autre en stop-motion, noir&blanc et avec Disney.  Consécration ultime, une rétrospective à la cinémathèque française doublée d’une exposition « événement ». Je le savais. Je veux dire, je savais que la cinémathèque lui ouvrait grandes ses portes au mois de mars. Mais ce que je ne savais pas, c’est que cette exposition initierait une question restée à ce jour sans réponse : « Ai-je vraiment envie de déambuler une fois encore dans les méandres sans fin du bâtiment de Franck Gehry et de hausser les épaules devant ses enfants aux faces hâves et aux grands yeux tristes ? ». C’était dimanche, il faisait gris, j’ai ouvert mon Télérama Sortir à la page idoine, il n’y avait rien. J’avais quelques jours d’avance. L’affaire était réglée, j’attendrais pour me décider. Ne sachant que faire, j’ai interrogé mon rapport au petit Prince de la Nuit pour savoir ou non si je l’aimais. Patiemment, j’ai décidé de procéder à mon propre accrochage. J’ai donc déambulé dans la galerie virtuelle de mes souvenirs Burtoniens et ai procédé seul à mon vernissage.

Le premier, j’ai honte : Mars Attacks. Nous sommes en 1996, je connais à peine le nom de Burton et là, assis devant moi mais me tournant le dos, un type en perfecto dit toute son excitation et son admiration à mon patron pour l’inventeur de ses extraterrestres écorchés. Je ne dis rien, j’écoute. Heureusement, on ne me demande pas mon avis, je suis stagiaire. Je verrais le film cinq ans plus tard et n’en conserverai aucun souvenir. Trois ans ont passé et je vais mieux. Je file voir Sleepy Hollow, m’éprend de ce conte morbide où fantastique et pragmatisme luttent sans merci pour obtenir les faveurs du spectateur. J’aime tellement que je propose à mes parents de m’y accompagner une seconde fois. Je vais mieux, vraiment. Puis arrive la planète des singes et je décroche une première fois. Passent alors Big Fish et Charlie sans même que je ne me retourne. Et arrive Sweeney Todd le diabolique barbier de Fleet Street où je crois lire dans le titre un écho à la qualité de la narration du cavalier sans tête. Faux. J’exècre tout : la musique, le maquillage, la laideur des décors, la pantomime et le cabotinage de Deep. Et puis, « bam ! » : une palme sur l’écran noir. Nous sommes un dimanche de mai 2010. La cérémonie touche à sa fin, une femme pose une question à un petit bonhomme terré au fond de sa chaise : « Mister President : who won the palme d’or ? » Un peu absent, pas très à son aise, le visage barré de ses montures noires, le président répond : « Apichatong Weerasethakul for Uncle Boonmee Who can recall his past lives ». C’est un beau titre, mystérieux, plein de promesses tenues. Il y a un grand singe aux yeux rouges qui hante la forêt et le film. J’ai accroché cette image au-dessus de mon bureau. Ca me permet de tenir. Pour cela et un peu pour le reste, j’irai rendre visite à Tim à la cinémathèque.

24 février 2012

Habemus Cesar !


Hier soir, j’ai fait un rêve. Quelques heures plus tôt, j’ai vu un film*. Respectons la chronologie des événements. Tout d’abord, le film, ou plutôt une image. Un pape nouvellement élu par ses pairs, choisi par la grâce de Dieu, assis sur une chaise, attendant l’appel. Sur le balcon central de la basilique Saint-Pierre de Rome, un cardinal, ému aux larmes, s’apprête à annoncer aux milliers de fidèles réunis sur la place, le nom de l’élu. La formule latine sort de sa bouche et retentit magique : « Habemus Papam » (Nous avons un pape). Devant ce balcon-scène où un homme va bientôt se muer en pape, un parterre de fidèles-spectateurs  manifeste bruyamment sa joie. Et puis, l’inimaginable   advient. En coulisse, le pape-acteur rugit et hurle par deux fois. On se presse autour de lui, il murmure « Aiuta me » (aidez-moi), se lève et plutôt que de prendre le chemin de la lumière, s’en va retrouver l’obscurité de ses appartements. Le visage décomposé, le cardinal se retire, les rideaux pourpres flottent au vent, le balcon est vide, le peuple catholique orphelin.

Quelques heures plus tôt, le conclave aura longuement délibéré, voté et revoté sans succès puis comploté pour se choisir un guide parmi cette assemblée de cardinaux dont aucun d’entre eux ne veut devenir pape. Le malheureux, c’est Melville qui, aussitôt élu, se défile et fugue, refusant d’endosser ses responsabilités. Il ne sait comment répondre à cette attente, à cette ferveur populaire. II ne sait pas les mots, il ne connaît plus son texte. Il ne pourra faire qu’un discours  - d’adieu -, court, très court où enfin, devant un parterre stupéfait, il prononcera ces mots :« Le seigneur m’a choisi, mais cela, au lieu de me donner force et conscience de ma valeur, m’écrase et m’angoisse un peu plus (…)  Ce ne peut être moi. Ca ne peut, en aucun cas, être moi ».



Melville fait marche arrière, se retire du balcon. Fin du film, j’appuie sur marche avant : début du rêve. Nous sommes demain, c’est-à-dire aujourd'hui. Nous sommes encore rivés à l’écran – décidément – le regard capté par un programme diffusé par une chaîne cryptée mais exceptionnellement claire. Sur scène, un maître de cérémonie, chevelure poivre et sel, va parler. Il discourt dans une langue fourchue et piquante, fait une pause, prend son inspiration, et proclame « Habemus Cesar ! ». Il est venu annoncer non pas « l’élu » mais la liste des élus choisis par son conclave. Aussi dignes et sans paroles que mon pape, ils défilent un à un sur la scène. Omar Sy ne rigole pas. Maïwen ne pleure pas, Mathieu Kassovitz n’insulte personne et Aki Kaurismaki n’est pas saoul. Ils endossent un à un l’habit blanc du pape, se vêtent et se dévêtent, déclinent tour à tour la proposition d’un simple signe de tête. La scène dure une minute tout au plus. Un temps si court pour une cérémonie réputée aussi longue et ennuyeuse ? Ce ne peut être qu’un rêve. Et puis, Jean Dujardin apparaît sur scène. On ne voit pas ses dents. Il s’approche du micro et prononce ses mots qui résonnent étrangement en moi : «  Ce ne peut être moi. Ca ne peut, en aucun cas, être moi ».  Il s’arrête, quitte la scène, laissant le trophée à ses pieds. Je me réveille.

* Habemus Papam, de Nani Moretti, avec Michel Picoli, Jerzy Stuhr, Nani Moretti et Renato Scarpa, 1h42.








21 février 2012

Fenêtre sur colonne

De là où je me tiens, je lui tourne le dos. L’après-midi, lorsque le soleil pointe à la fenêtre, sa tête couronnée étire son ombre jusqu’à mon épaule. Une simple rotation de trois quart sur ma chaise et je fais face à son dôme vert bouteille. Pour la voir toute entière, pour découvrir ses promesses, il me faut décoller de l’écran, m’approcher de la fenêtre, en ouvrir les larges montants et inspirer l’air frais. Au-dehors, la bande-son est toujours la même. Un fracas de moteurs que seuls les feux apaisent. Au-dehors encore, la même colonne, le même cylindre aux deux faces si dissemblables. Je ne sais si les autres tournent, mais ma colonne Morris, elle, ne tourne pas. De là où je me tiens, je ne peux donc en voir les deux faces. J’ai beau me tordre le corps et le cou, je n’en aperçois que le côté face. Pour le « pile »,  il me faut descendre à hauteur de trottoir. Heureusement, je fume. Je tourne donc plusieurs fois par jour autour de ma colonne. J’en fais le tour comme d’autres lèvent le nez pour voir la programmation des salles de cinéma. Par chance, la mienne ne supporte que des affiches de cinéma. C’est une colonne digne qui se refuse au théâtre de boulevard et aux comédies musicales. C’est une colonne qui a aussi bon dos, endossant sans coup férir bons et mauvais films, rares chefs d’œuvre et nanards multiples.


Le mardi, c’est peau neuve. En milieu de matinée, alors que je lui tourne le dos, ils lui ouvrent le ventre, plaquant sur ses faces des rouleaux fleurant bon l’encre fraîche. Patient, j’attends mon heure, laissant œuvrer les poseurs d’affiche. Et quand vient la faim, je descends fumer auprès de ma colonne. A sa fréquentation, naissent et meurent mes envies de cinéma. Bande-annonce muette de ma semaine, elle me renseigne plus sûrement que son pendant animée et numérique. Image, cadrage, lumière, typo, couleurs, noms du réalisateur, acteurs, scénariste... Tout cela repose et sédimente, guide ou écarte mes pas du chemin des salles. De « Tournée » de Mathieu Amalric, je chéris le souvenir de la belle illustration de Christophe Blain. D’Eastwood, j’oublie la mièvrerie new-age de l’imagerie « Au-delà » et me pâme devant la photo impeccable d’un Di Caprio foulant la pelouse en « J.Edgar ». Et parfois, il y a la stupeur. Comme cette semaine où plus occupé à allumer ma cigarette qu’à observer ma colonne, ma camarade m’a devancée d’une bouffée. Au moment où je posais un premier regard incrédule sur l’affiche, j’ai entendu : « c’est une publicité pour la Grande Récré ? ». Un instant, j’ai craint pour ma colonne. J’ai levé la tête. Obi-Wan Kenoki et son sabre laser, le jeune Anakin Skywalker juché sur son scooter, maître Yoda en plein exercice, et le méchant à tête mouchetée me faisaient face assurant coûte que coûte la promotion du premier épisode de Star Wars en 3D. J’ai visualisé le rayon jouet d’une grande surface, scanné les codes-barres des figurines, masques et autres sabres. J’ai pensé à Georges Lucas, à sa barbe et à sa sale manie de nous faire les poches. J’ai tourné le dos pour la semaine à ma colonne, et j’ai murmuré : « sale gosse ! »

17 février 2012

Nos vies spielbergiennes


Nous sommes tous des enfants de Steven Spielberg. Que vous le vouliez ou non, que vous soyez cinéphiles ou non, que vous préfériez la télé au cinéma, que vous mangiez bruyamment des pop-corn en pleine séance ou que vous preniez le soin d’éteindre votre portable avant même que le générique ne commence, que vous soyez plus raclette que fondue, vous êtes, tout comme moi, un rejeton de Steven. Loin de moi, l’idée d’évoquer un quelconque effet générationnel. Je ne cherche pas ici à vous inventer une filiation factice ou des affinités comportementales fleurant bon le marketing et le saindoux. Non, non, vous êtes réellement le fils ou la fille de Steven Spielberg. Et, en vous comme en moi, coule un flux de photogrammes où Indiana et Tintin poursuivent de concert le camion de Duel à l’arrière duquel est arrimé une gueule béante et pleine de dents (tiens, tiens…) de la mer. Inutile de résister, tout déni ne tendrait qu’à confirmer qu’il y a bien ici un conflit lové dans un coin de votre psyché entre Père Steven et vous.

Moi-même, j’ai longtemps combattu cette idée saugrenue. Puis, tout comme vous le ferez prochainement, j’ai capitulé. La révélation s’est imposée à la vision de la Une du numéro 675 Cahiers du Cinéma. Soit une petite dizaine d’ombres chinoises émanant de la lanterne magique de Spielberg. Là, sur la couverture, flottant dans un rond blanc, j’observais les silhouettes de papier fonctionnant comme autant de signes immédiatement reconnaissables. Un requin vorace, un tyrannosaure menaçant, un aventurier au fouet, un gamin au vélo et à l’extra-terrestre, un soldat débarqué sur une plage, un homme revolver à la main s’apprêtant à commettre l’irréparable pour réparer l’Histoire… Allongé et un peu hagard, feuilletant mollement ce numéro en attendant que la salle de bains ne se libère, j’ai identifié et reconnu un à un les protagonistes de ces histoires. Un album de famille embrassant en une seule image une vie cinématographique rêvée, peuplée des héros et des aventures que notre quotidien ne pourrait jamais nous offrir. Une vie à portée de tous et de toutes, une vie faite pour les enfants que nous avions été et que nous continuerions à être. Aux commandes de cette vie, un père taiseux. Un père avare de mots mais jamais d’images. Je me souviens de tous ces moments passés à ses côtés, dans la salle comme au salon, où prenait forme sur l’écran les histoires qu’il nous contait. Deux heures en moyenne où la fascination cédait le pas à la frustration de voir si vite le rideau retomber sur le spectacle et le merveilleux. Après encore, il nous accompagnait à table, animant les repas et les jeux de nos après-midi où l’ennui n’avait plus cours. Le lendemain, nous contions les exploits de ce père dans la cour de récréation et, plus tard, bien plus tard encore, à la machine à café. Alors peu importe qu’il nous revienne aujourd’hui monté sur un cheval. Qu’importe que l’affiche de ce cheval de guerre nous évoque un salon équidé. Ce qui importe, ce qui nous importe, c’est qu’il revienne toujours, comme pris dans une itération sans fin. Pour que toujours, nous restions les enfants de Steven, pris en otage de nos vies spielbergiennes.

13 février 2012

Jean (Dujardin) qui rit… et j’en peux plus !

Trop. Je te le dis, Jean, c’est trop. Trop de matins à écouter la voix du présentateur annoncer les lieux où tu passes tes soirées, les augustes acteurs que tu as poussé hors du tapis rouge, le nombre de statuettes glanées et la qualité des médailles accrochées à ton smoking. Le service après-vente tourne au jubilée interminable dont on nous prédit qu’il nous faudra endurer l’épreuve jusqu’à ce soir où, enfin, tu brandiras la récompense suprême à la face du monde. Ne plus te voir, ne plus t’entendre. Pas le choix. On te chasse des ondes, on te retrouve sur l’écran. On te zappe et on te retrouve à la une d’un magazine. Et partout, tes dents. Ces dents, si blanches dont on croit entendre le tintement sortant des baffles. Cette bouche figée qui rit tellement, une bouche pleine de dents dessinée pour l’image. Une bouche d’enfant qui semble nous dire « veuillez m’excuser mais je n’ai jamais rêvé que de ça ! Alors, s’il vous plait, laissez-moi en rire de toutes mes dents ». A vrai dire, on te comprend, on n’a pas vraiment de dent contre toi, on pourrait même se prendre à en rire aussi. Au lieu de cela, on montre bêtement les dents, lorsque le présentateur, le journaliste, le politique se réjouit de tes nouvelles prises. 

Mais de quoi s’agit-il ? De quoi Jean Dujardin est-il le nom pour qu’il soit ainsi scandé en tous lieux et à toutes heures ? De cinéma ? Point. D’un phénomène people ? Non plus. Non, en ces temps de (pré) campagne électorale et d'austérité généralisée, a l'heure où l'on accuse le coût devant le déficit de notre balance commerciale et où l’hexagone peine à vendre son savoir-faire et ses produits hors de ses frontières, tu es, cher Jean, la planche de salut de la maison France. Un vrai produit made in France (ton accent en témoigne) doublé d'une authentique réplique/pastiche anglo-saxonne. Un produit culturel au synchrétisme parfait pour s’installer sur l’écran-monde et concourir dans la catégorie box-office. Mais de quoi parle-t-on ? De politique, d’économie, d’entertainment, de culture ? Un peu de tout ou surtout de n’importe quoi ? Et surtout, lorsque Jean aura fini sa moisson, lorsque l’artiste aura quitté l’écran, que restera-t-il de cette tournée sans fin ? Un film, pas vu. Un acteur, réduit à dépoussiérer ses statuettes. Et, nous, à vivre avec le souvenir de ses dents.