« On dirait que je
serais le président et on dirait que tu serais le premier ministre ». Ces
mots, Gilles Jacob, président du Festival de Cannes, ne les a jamais prononcés.
Et, Thierry Frémaux, délégué général du Festival, ne les a jamais entendus.
Ils sont l’un et l’autre trop âgés pour s’adonner à de pareils enfantillages.
Et même en 2001, année où Gilles offrit son écharpe de délégué à Thierry et où
il revêtit son habit de président, il ne s’est jamais rien passé de tel, promis
juré. Ces jeux sont réservés aux cours de récré ou au cinéma fantasque et
génial d’Alain Cavalier où les charges électives se jouent à la courte paille.
A Cannes, dans le palais des festivals, point de faux-semblants, chacun connaît
sa partition et la joue en évitant les fausses notes. On connaît sa
constitution sur le bout des doigts, on maîtrise sa Vème république. Le
président préside, un point c’est tout. Il incarne l’institution dans la durée,
il est sa permanence et son meilleur garant. Il ne prend la parole que lorsque
la situation le nécessite. Le job de Jacob ? C’est par exemple éconduire
Lars Von Trier lorsque l’homme tient des propos nauséabonds en conférence de
presse mais conserver en compétition le film et l’auteur. C’est un vrai et bon
président, juste et cinéphile, dont la parole est rare et mesurée, toujours
présent en haut des marches pour accueillir les impétrants au panthéon de la
cinéphilie mondiale. Son premier ministre, son délégué général, qu’il dépasse
de deux bonnes marches est un homme pressé. Il faut dire que l’homme gouverne
un palais, qu’il nomme un jury et sélectionne les films. Tour à tour
artificier, pompier et pyromane, allumant ici la mèche des festivités,
éteignant plus loin l’incendie qui couve ou ravivant en milieu de compétition
les flammes d’une édition qui s’enlise.
La république de Cannes est
bien une émule de la Vème république. A ceci près qu’elle ne connaît peu ou pas
d’élections sinon celle de son conseil d’administration qui a reconduit en décembre
dernier le duo pour trois années supplémentaires. De cette tacite reconduction,
personne n’a entendu parler, ou si peu. Du manque d’alternance à la tête de
l’institution, personne ne s’est plaint. Du moins en apparence. Car, dans
l’ombre, sous les ors d’un autre palais, un homme attend. En silence, un homme
se prépare et se livre peu à peu.
Il faut lire le sous-texte. L’air grave, il
dit « avoir changé », n’être plus le même homme. Il dit réserver
l’essentiel de ses soirées aux classiques du cinéma qu’il visionne avec sa
femme. Il annonce « regarder 150 films » par an et vouloir rattraper
le temps perdu. Il dit aussi être prêt à quitter la politique en cas de
défaite, qu’il y a plus enviable que sa place de président… de la république. Mais
pour quoi Nicolas Sarkozy fait-il campagne ? En réalité, il bachotte en
secret. On lui trouve la mine défaite ? C’est qu’il passe toutes ses nuits
devant sa télé. Les sondages le donnent largement perdant au second tour ?
Il conserve sa superbe continuant à battre le pavé de ces villes de province
qu’il déteste. Il se sait vaincu et ça lui plaît. Lui plaît de se dire, en
cinéphile converti, qu’il y a plus beau que le perron de l’Elysée : il y a
les marches du palais des festivals. Qu’il y a plus aimable compagnie que celle
de François Fillon : il y a Thierry Frémaux. Alors, Nicolas attend
sereinement la suite, fourbissant ses armes pour déstabiliser la statue du
commandeur Jacob. Le 6 mai prochain, à dix jours de l’ouverture du festival de
Cannes, un visage se dessinera lentement sur les écrans. La France retiendra
son souffle. Ce soir là, à 20h30, un homme ne découvrira peut-être pas son
visage sur l’écran. Il quittera son canapé. Il se tournera vers sa femme, lui
adressera un sourire. Le coin droit de sa bouche et son épaule monteront en
rythme et de sa plus belle voix, de celle qu’elle adore, il lui demandera « Bon alors, qu’est-ce que l’on
regarde ce soir ? ». A 900 kilomètres plus au sud, dans son palais
des festivals, un homme éteindra sa télé en tremblant.